La proposition présentée dans une tribune récente de faire élire le président de la Collectivité européenne d’Alsace au suffrage universel direct est des plus discutables. Elle n’a aucune chance d’être adoptée par le législateur car elle est contraire à toute la tradition de l’administration locale française, n’est portée par aucun parti politique et se heurtera à l’opposition résolue des associations d’élus.
Un président élu au suffrage universel n’améliorerait pas la bonne gouvernance de la Collectivité européenne d’Alsace…
Mais surtout, au fond, elle serait profondément néfaste à la bonne gestion d’une collectivité territoriale en France. De quoi a besoin un puissant département comme la Collectivité européenne d’Alsace, avec son budget de 2 Mds€, de larges compétences en matière sociale, de voirie, de collèges, de patrimoine, de transfrontalier ? Il lui faut un programme réaliste, ambitieux et pluriannuel porté par une majorité solide dirigée par un exécutif avec qui elle est en confiance sur la durée. Ceci s’obtient par l’élection d’une assemblée, de préférence à un suffrage de listes, lesquelles présentent le programme de l’ensemble de leurs candidats, selon des modalités proportionnelles, avec prime à la liste majoritaire comme pour les Communes et les Régions. Ces listes ont un leader qui a la carrure suffisante pour les constituer et les diriger. Connu des électeurs, qui votent souvent autant pour sa personne que pour le mouvement qu’il incarne, il est, de fait, élu au suffrage direct dans sa future fonction de maire ou de président. Il en tire une grande autorité vis-à-vis des conseillers élus sous sa bannière et vis-à-vis des tiers, comme cela se voit pour les maires et présidents de région.
C’est pareille formule qu’il faudrait pour la Collectivité européenne d’Alsace. Elle lui sera automatiquement appliquée le jour où cette collectivité sera érigée en Région à part entière, seul changement que nous devons réclamer. Elle aurait même pu être mise en œuvre dès les élections de cette année, comme nous l’avions suggéré, si la majorité départementale sortante s’était organisée en conséquence avec Frédéric Bierry, le président qu’elle avait consacré dès janvier 2021 lors de la mise en place de la Collectivité européenne d’Alsace.
… et mettrait le président en compétition avec les élus
L’élection côte à côte et en compétition pour, d’une part, un président et pour, d’autre part, des conseillers ne pourrait créer que confusion et désordres. Ou bien l’on conserve l’actuel mode d’élection avec des binômes désignés dans des cantons, essentiellement en raison de leur personnalité et de leur statut politique propre (déjà maires), et dans ce cas il n’y aura pas de vrai programme sur les grandes politiques de la Collectivité européenne d’Alsace mais un ensemble de promesses sur des enjeux locaux. Et, une fois élus, ces conseillers ne formeront pas une majorité cohérente et soudée au sein du conseil, qui restera une fédération de notables avec qui l’exécutif devra composer en permanence. Ou bien, le mode d’élection du conseil aura également été réformé et se fera par listes dont chacune aura à sa tête un rival potentiel du président élu séparément.
Dans tous les cas de figure, vu le faible goût du consensus dans la culture politique française, on observera les mêmes effets que dans les pays d’Europe de l’Est où des maires sont élus directement : conflits récurrents, paralysies, graves problèmes de gestion des administrations locales. Est-ce ce dont nous avons besoin ?
L’exemple des maires du Bade Wurtemberg n’est guère transposable. Ils sont élus pour 8 ans contre 5 ans pour les conseils municipaux, à des dates différentes et donc sans compétition entre les candidats aux deux élections. La légitimité des maires n’est pas principalement d’ordre politique ; dans leur quasi-totalité ils sont déjà des fonctionnaires confirmés qui continuent ainsi leur carrière professionnelle. S’ils affichent, en général, une appartenance partisane, celle-ci n’est pas déterminante ; ils sont rarement des poids lourds dans leur parti et ne chercheront pas ensuite à conquérir d’autres positions politiques, vu la stabilité de leur situation et le niveau élevé de leur rémunération. Le sens du compromis qui prévaut en Allemagne permet de fréquentes cohabitations entre élus de couleurs différentes, inimaginables en France.
Publié dans AlsaceNews par Robert Hertzog le 19 octobre 2021
Agrégé de droit public et de science politique, expert auprès d’organisations internationales, Robert Hertzog est aussi secrétaire général de l’association Mouvement pour l’Alsace présidée par le sénateur André Reichardt