Le grand écart, chronique d’une démocratie fragmentée

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Dans Notes de lecture

Après avoir fait une analyse approfondie et détaillée des élections présidentielles et législatives de 2017 (« Le vote disruptif » aux presses de Sciences Po 444 pages, octobre 2017), Pascal Perrineau, politologue et professeur à Sciences Po Paris fut un des cinq garants du grand débat national entre janvier et mars 2019.
Dans son dernier ouvrage (« Le grand écart, chronique d’une démocratie fragmentée » chez Plon novembre 2019, 200 pages), il nous livre une autre analyse, celle du mouvement des gilets jaunes et du grand débat national qui a suivi, ainsi que celle des élections européennes de mai 2019.
Trois évènements qui se sont succédés et auxquels correspondent trois types de démocratie (directe, participative et représentative) qui selon lui ne se complètent plus.

Le résultat de la présidentielle de 2017 est l’aboutissement d’un processus à l’œuvre depuis 1992 avec le référendum sur le traité de Maastricht puis celui de 2005 sur la constitution européenne qui a vu la naissance de clivages trans-partisans dans les opinions. L’année 2019 a vu l’accentuation de cette dynamique avec l’affirmation de trois pôles partisans (conservateurs identitaires – libéraux mondialisateurs – écosocialistes) sous l’influence de deux clivages désormais dominants (cosmopolites/identitaires et altermondialistes/néolibéraux).
Cette recomposition toujours en cours s’est faite sur les ruines d’une droite et d’une gauche qui ont pourtant dominé le jeu politique national depuis les débuts de la cinquième république.
En ce sens, la démonstration de Pascal Perrineau s’appuie sur et confirme l’excellente analyse de Jérôme Fourquet dans son ouvrage « L’archipel français » paru au Seuil (mars 2019, 379 pages).
Après avoir rapidement décrit les origines assez lointaines et les prémices de la disruption politique que furent les résultats de l’élection présidentielle de 2017, Pascal Perrineau évoque la crise financière de 2008 et ses effets, le rôle du Rassemblement National dans son combat contre la mondialisation, le clivage européen ainsi que celui autour des valeurs comme autant de facteurs qui ont contribué à cette évolution du paysage politique en France.
L’auteur analyse également l’ADN et la genèse du mouvement « En Marche ! » ainsi que le profil sociologique de la nouvelle assemblée nationale.
Vient ensuite l’irruption du mouvement des gilets jaunes dans le jeu démocratique avec tout un chapitre consacré à une analyse approfondie de sa nature et de ses acteurs. C’est le volet « démocratie directe » de la séquence vécue par les français en 2018-2019.
Le grand débat national qui succède au mouvement des gilets jaunes fait lui aussi l’objet d’un chapitre d’autant plus intéressant que Pascal Perrineau en fût un observateur impliqué et attentif. Il nous entraine dans les arcanes de son organisation avec ses principaux enseignements. C’est le volet « démocratie participative ».
Le volet « démocratie représentative » est lui incarné par les élections européennes de mai 2019 qui confirment les nouveaux pôles partisans apparus en 2017 et constituent une réponse par les urnes à la démocratie directe des gilets jaunes non sans évoquer un certain parallèle avec le résultat des élections législatives qui avaient suivi les évènements de mai 1968.
D’après Pascal Perrineau, le « grand écart » entre les trois démocraties évoquées et qui est une menace pour notre démocratie en général, réside dans le fait qu’elles ne portent pas le même contenu politique.
En conclusion il suggère que la disruption politique de 2017 qui est intervenue par le haut, soit maintenant suivie d’une autre par le bas et les territoires, en changeant la donne avec une véritable décentralisation aboutissant à une reconfiguration des pouvoirs publics.
Les collectivités territoriales devraient avoir beaucoup plus de pouvoirs et de moyens qu’aujourd’hui, ce qui permettrait de contrebalancer et d’équilibrer la trop forte présidentialisation de la vie politique française avec ses défauts majeurs que sont la personnalisation du pouvoir et l’hystérisation du débat.
C’est seulement à ce prix qu’une réconciliation démocratique peut opérer et la confiance du peuple revenir…

Une lecture impérative pour qui veut comprendre la complexité du contexte politique en France et la nécessité pour le pays de devoir profondément se réformer en changeant de paradigme avec la mise en place d’une décentralisation enfin achevée et efficace où les territoires et leurs élus seront de véritables metteurs en scène de leurs politiques publique.