Désir d’Alsace et délitement du Grand Est

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Dans Décryptage politique

Le nouveau Département alsacien à statut particulier que constitue la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) est un évènement historique en ce sens qu’il supprime la division séculaire de l’Alsace en deux collectivités et rétablit l’Alsace dans sa dimension institutionnelle. Rien que cela, apportera des transformations profondes malgré la modestie des compétences que la loi lui attribue.
Le fameux « désir d’Alsace », inventé par un préfet de la république est significatif de l’incompréhension par les élites françaises de la notion anglo-saxonne ou germanique de « pouvoir local ».
Les Alsaciens sont l’Alsace et n’ont pas à la quémander au gouvernement !
Le blocage est complet avec le Grand Est car il ne pourra pas céder à l’Alsace qui est une de ses composantes, des compétences qui seraient refusées aux autres.
Une hypothétique sécession de l’Alsace (que seul le législateur peut décider), entrainerait ipso facto la dissolution du Grand Est et imposerait de fixer le sort des territoires restants or les Lorrains et les Champenois ne veulent ni se retrouver seuls ni en binôme, d’où l’acharnement de leurs élus à défendre le Grand Est dont ils dénoncent par ailleurs tous les défauts.
Tant que ce paradoxe ne trouvera pas de réponse, les chances pour que le législateur rétablisse une Région Alsace sont nulles…
Par conséquent il nous faudra attendre une profonde réforme territoriale future, ce que la prochaine loi 4D (pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification ) ne sera pas, pour assister à la disparition de certaines grandes Régions totalement inefficientes et la mise en place d’une décentralisation asymétrique en France qui prendra enfin en compte la réalité et l’héritage historique de ses territoires.
A ce moment-là, nous aurons l’opportunité comme en 2013, de récupérer avec la CEA une collectivité à statut particulier pour l’Alsace par fusion des compétences départementales et régionales, à l’instar de ce que nous avons déjà avec la Corse, la Martinique ou la Guyane.
Jusque-là, brandir ce « désir d’Alsace », équivaut à insulter les Alsaciens et ceux qui n’ont à la bouche que « sortir du Grand Est » adoptent une posture facile mais totalement irréaliste…
On notera avec intérêt que dans le cadre du débat qui débute concernant la Collectivité européenne d’Alsace et l’avenir du Grand Est, il est intéressant de constater qu’il y a plus de vingt ans, la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale) dans un volumineux rapport de prospective (« Aménager la France de 2020 » Datar, La Documentation française 2000) reconnaissait que les 22 Régions de la métropole étaient à conserver et même à renforcer.
Elle suggérait simplement qu’elles s’organisent dans des regroupements interrégionaux en s’associant et en coopérant. Ces « inter-régions » existaient d’ailleurs déjà autour de projets structurants comme par exemple l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne pour la réalisation du TGV Est européen.
La création de la CEA suscite désormais une forte agitation dans le Grand Est car d’autres Départements voudront reprendre le modèle alsacien , dans la perspective de l’éclatement de la Région. Ne parlons plus de sortir du Grand Est, il s’effritera de lui-même, maintenant qu’il n’a plus de ciment si tant est qu’il n’y en ait jamais eu !
La réforme régionale de 2015 devrait être considérée pour ce qu’elle est finalement: une expérimentation lancée sans savoir où l’on allait. Elle nécessite donc une évaluation méthodique. Si l’espace Grand Est peut démontrer sa pertinence pour certaines politiques, comme certains aspects du transport ferroviaire par exemple , transformons-le alors simplement en établissement public de coopération (entente inter-régionale, CGCT Art. L5621-1) comme le suggérait la DATAR il y a plus de vingt ans…
En attendant, la Région Grand Est pourrait aussi territorialiser ses politiques sur les trois territoires régionaux qui la composent (Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne) voire diviser son budget en trois également pour coller à cette territorialisation. Certains responsables politiques et autres experts commencent à évoquer cette possibilité qui permettrait d’être prêts, le jour où le Grand Est ayant démontré son incohérence et son aberration, nous serions en position de récupérer nos anciennes Régions historiques. De plus, comme les services de l’État sont encore répartis et dispersés sur les trois anciennes Régions, le retour à celles-ci pourrait se faire sans les contraintes que constitueraient des acquisitions immobilières et surtout à moindre coût.
Il sera fort intéressant de lire les programmes des différentes listes lors des prochaines élections régionales des 20 et 27 juin prochains pour voir de quelle façon ils envisagent l’avenir institutionnel et surtout s’ils proposeront une méthode ou une stratégie pour y arriver…